Narrer l’architecture d’Alger : A travers le récit figuratif et graphique de Benyaa

 07 Mars 2024
El Watan
« Narrer l’architecture d’Alger : A travers le récit figuratif et graphique de Benyaa »
Article de Hassen Reda DAHMANI

Comment Alger, qu’on croyait prise en étau entre ciel et mer, devient pour l’artiste Benyaa une ville qui a conquis astucieusement l’espace, sublimant ces deux grands bleus.

Sacré Benyaa. De son œil scrutateur et avisé, au regard poli par des années de pratique architecturale et de réalisation plastique, il nous offre un regard renouvelé d’Alger. Cet organisme urbain vivant s’étale de bout en bout de la baie et semble retrouver sérénité et grâce sous la plume de l’artiste. Benyaa s’amuse de l’espace et du temps. Il fige de plusieurs angles de vue la ville conférant ainsi de manière complémentaire une vue d’ensemble cohérente et suffisamment exhaustive pour l’observateur critique et avisé, comme pour le profane. 

La taille des œuvres est impressionnante. On pourrait croire qu’elles sont à l’échelle lorsqu’elles sont installées dans un espace d’exposition conséquent, comme celui du palais de la culture d’Alger. Quand l’exposition passe à la galerie d’arts de l’auteur, même contraintes par la relative exiguïté des lieux, les œuvres gardent tout leur sens grâce à un choix d’emplacement judicieux. 

Tentant de débusquer et de mettre en lumière la manière dont s’articulent, s’enchevêtrent, se juxtaposent et s’entrelacent rues, ruelles, monuments, bâtisses, Benyaa recherche aussi l’harmonie d’ensemble. Il la déniche sans trahir la réalité. De son côté, Alger semble accepter de se faire dévoiler par Benyaa. Sans cela, l’artiste ne serait jamais allé au bout de son projet fou : donner du sens à cette ville rebelle qui résiste comme elle peut à toute atteinte à sa pureté urbanistique originelle et à son architecture savante. 

Alger, aseptisée par l’effacement de milliers de barreaudages, paraboles, citernes, gaines et éléments extérieurs des climatiseurs, retrouve sa splendeur et son élégance. Epuré des stigmates laissées par des décennies d’agressions démographiques et de perversions urbanistiques, elle retrouve son âme de ville faite pour la diversité et la convivialité, pour l’utile et l’agréable. Si la gestion de la cité dans un passé récent a fait d’Alger une sorte de chaos urbanistique servant des intérêts mercantiles occultes et affectant à la ville une topographie idéale pour des transgressions caractérisées, Benyaa nous remet Alger sur les rails desquels elle n’aurait jamais dû sortir. Ceux de sa capacité à accueillir dans la dignité et dans un certain confort de vie toute la diversité humaine pour laquelle elle semble avoir été destinée à recevoir. 

De bête blessée, vouée à l’oubli et au rejet, Benyaa la réhabilite, non pas seulement virtuellement, artificiellement ou même artistiquement, mais comme un possible à notre portée. Oui, l’œuvre de Benyaa est une incitation adressée à tout un chacun de susciter, ne serait-ce que par la pensée, l’imagination, le culot et l’ingéniosité, une façon de maintenir vivace cette idée d’une capitale capable d’adapter sa physionomie à l’évolution du monde, tout en préservant ses valeurs cardinales. 

Une ville malléable à souhait, vivante et sûre d’elle. Ainsi, et par le truchement de l’image matérielle de la ville d’Alger, l’artiste suscite en nous autant d’images mentales diverses et fonctionnelles. Il nous invite à regarder Alger non plus comme une sorte de fait accompli, mais comme un terrain d’expérimentation intellectuel. 

On se met à imaginer des scénarios de réhabilitation ou d’innovation urbaine à la manière de cette kyrielle de bâtisseurs qui se sont succédé au gré des conquêtes et des alliances de circonstances. A la manière aussi de ces prestigieux architectes des années 60-70 de l’Algérie indépendante, qui ont apporté leur touche et élevé le prestige de la ville. En contribuant de la sorte à réhabiliter à nos yeux l’envergure et la majesté de notre capitale, Benyaa est assurément de la trempe de ces bâtisseurs.

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