La Baie d’Alger

 25 Juin 2022
El Watan
« Farid Benyaa expose au Palais de la culture Moufdi Zakaria de Kouba :
Le chantier constant de l’art et de l’architecture »

La Baie d'Alger par Farid Benyaa
La baie d’Alger dans toute sa splendeur et sa poésie se donne à voir grâce à l’architecte plasticien et galeriste algérien Farid Benyaa et ce, jusqu’au 25 juillet prochain à Alger.

Après une absence de six ans, l’architecte Farid Benyaa réinvesti la scène artistique avec une imposante exposition mêlant Art et Architecture intitulée «La baie d’Alger». Le vernissage de l’exposition a eu lieu, jeudi dernier en fin d’après-midi, en présence de la ministre de la culture et des arts Soraya Mouloudji, de certains représentants du corps diplomatique en Algérie, d’artistes, de proches et d’amis.

Farid Benyaa s’est toujours définit comme un artiste éclectique. Pour preuve, il excelle dans l’architecture, le graphisme, la sculpture ainsi que dans la création d’objets et de mobiliers. Après sa dernière exposition de peinture en 2016 «Suggestion»- relative à une série de portraits de femmes, coïncidant également avec la sortie d’un beau livre, renseignant sur une carrière, riche d’une trentaine d’années- Farid Benyaa revient sous sa casquette d’architecte avec un travail époustouflant. Comme il le dit si bien « J’essaye de montrer la baie d’Alger comme on l’a jamais vu auparavant ».

La casquette de l’architecte

On l’aura compris, l’architecte reprend le dessus quand il s’agit d’Alger et de son architecture, puisque son objectif majeur est de réinstaller un débat sur Alger et sa baie. Constituée de 60 œuvres ponctuelles grandeur nature, cette imposante et impressionnante exposition sur la baie d’Alger est le fruit de 6000 heures d’un travail acharné au quotidien, réparti sur six ans et demi.

En excellent architecte qu’il est Farid Benyaa propose trois formats distincts. Il développe avec minutie des perspectives, de certaines grandes rues et grands boulevards de la capitale, des monuments et la baie d’Alger. Cette dernière se déploie, d’ailleurs, sur la forme de formats allant de 5 à 13 mètres.

A peine le seuil franchi, le regard est happé par les grandioses œuvres horizontales exposées. La nostalgie s’installe pour procurer de la sérénité. Dés lors, le présent n’est plus à la hauteur du passé. Place aux souvenirs, révolus à jamais.

Style particulier

Ainsi les cimaises de la galerie du palais de la culture Moufdi Zakaria sont tapissés par une vue magnifique et panoramique de la baie d’Alger. Un style particulier est proposé où l’émotion tient une grande place. Alger est omniprésente dans toute sa grandeur. Les natifs d’Alger et autres reconnaissent avec un pincement au cœur, sur un tracé en noir et blanc la rue Didouche Mourad, la place Audin, la rue Ben M’Hidi, le boulevard Che Guevara, le boulevard Zirout Youcef…

Tel un voyage initiatique, sur un long tronçon respecté fidèlement- répartie sur cinq panneaux- le regard est convié à redécouvrir certains endroits phares et ce, à partir du restaurant El Boustane. Ce dernier permet d’avoir une vue panoramique sur 180 ° de toute la baie d’Alger. Ainsi, on retrouve, la ville européenne du 19 éme siècle, constituée du jardin botanique du Hamma, l’hôtel Sofitel, la bibliothèque nationale, le stade du 20 Aout. L’itinéraire se poursuit par Kouba, par les Pins Maritimes en passant par le port de Tamnesfoust.

Le versant opposé de la baie d’Alger se donne à apprécier à travers d’autres mythiques lieux, à l’image de la Casbah d’Alger. A partir d’une vue de l’Espadon, on découvre la grande poste, l’hôtel l’Aurassi, l’Assemblé nationale, la wilaya, l’APN, l’hôtel Aletti, le journal El Moudjahid. Le parcours se poursuit par le TNA, qui correspond à la limite de la Casbah d’Alger, la pêcherie, djemââ djedid, l’Institut de musique pour arriver à l’Amirauté.

Sans aucun doute, la Casbah d’Alger est au cœur de l’exposition. Le frère de l’artiste, Djamel Benyaa a reconfiguré les rues d’Alger à travers une carte géographique. Un peu plus loin, on aperçoit des tableaux en couleurs que Farid Benyaa a réalisés durant. Parmi ces derniers figurent la mosquée Ketchaou, dar Aziza, ou encore Sidi Abderrahmane. C’est parce que l’artiste accorde une importance primordiale au patrimoine national qu’il exhibe des dessins, représentant des heurtoirs ou des marteaux de portes traditionnelles.

Le circuit de l’exposition est balisé par un autre espace, dédié à tous les architectes algériens qui se sont intéressés à la baie d’Alger. Parmi eux citons le père de l’architecture algériennes Abderrahmane Bouchama, suivi entre autre par Akli Amrouche, Djamel Aklouche, Kamel Laoufi, Sihem et Nassim Baghli, Djaffer Lesbet et Mohamed Benrabet.

Un zoom est consacré aux auteurs qui se sont penchés sur des écris livres d’architectures tels Najet Khadda, Monjia Abdellatif, Nabila Djehiche, Rachid Si Boumédiene, André, Seghir Mohamed, Touzout Redouane, André Ravéreau, Jean- Jacques Deluze.

Farid Benyaa n’a pas oublié ses confrères du métier. Un autre zoom se donne à voir sur les grandes réalisations d’architectes algériens contemporains dont Halim Faidi, Larbi Marhoum, Yamo, Karim Louni, Hakim Hamed, H’nifa Hammouche et Samia Slimani.

Farid Benyaa est un architecte et un plasticien perfectionniste dont le sérieux rime avec la rigueur. Son exposition d’architecture et d’art a été réalisée avec des yeux qui se veulent être une loupe, c’est du moins ce qu’il nous précise avec ironie. Ce travail de longue haleine se soldera, à coup sur, par la publication prochaine d’un livre d’art.

Il est à noter que la visite de cette exposition qui se poursuivra jusqu’au 25 juillet mérite largement le déplacement. Avis aux intéressés. Sinon, l’architecte Farid Benyaa annonce d’ores et déjà qu’il compte bien programmer cette exposition dans un format plus réduit au niveau de sa galerie d’art éponyme, située aux Sources à Alger. 

Farid Benyaa. Architecte, artiste plasticien et galeriste : « L’art et l’architecture ont déserté notre environnement »

L’architecte Farid Benyaa revient dans cet entretien sur el concept de son exposition « La Baie d’Alger » tout en ne manquant pas de tirer la sonnette d’alarme sur la dégradation de la Casbah d’Alger.

Pourquoi ce choix du thème la baie d’Alger ?

Il y a de la nostalgie dans mon travail. Je pense que l’Algérien n’est pas conscient du joyau d’architecture et du livre d’art et d’histoire qu’est Alger. Je fais découvrir Alger dans toute sa grandeur. Il ne faut pas oublier qu’elle a été la deuxième plus belle baie du monde en 1956 après Rio de Janeiro. Cela a été la perle de la méditerranéen. Alger est un berceau d’architecture et un véritable laboratoire en architecture.

Je dirai que c’est un musée d’architecture. J’ai eu le privilège d’avoir un site panoramique époustouflant exceptionnel. C’est cela qui fait toute l’originalité d’Alger en dehors de la Casbah. Je propose un voyage qui nous fait découvrir les pépites d’Alger. Alger est pleine de curiosité. Par ailleurs, on peut imaginer que les jeunes architectes vont être inspirés par la baie d’Alger pour pouvoir prendre conscience qu’Alger est un laboratoire d’architecture. Il faut savoir aussi qu’ici nous avons une véritable démonstration de différents styles d’architecture, à savoir, le style, haussmannien, le néo-mauresque, le néo- classique et l’art déco avec l hôtel Alettti.

Comment est né ce beau processus de création ?

J’ai l’avantage d’habiter Alger. J’ai pris mes propres photos panoramiques à partir entre autres du club l’Espadon, de Riad El Feth et d’autres points de vues qui m’ont permis d’avoir des angles de vues qui sont les miens. Il faut dire aussi que j’ai décidé après vingt ans de galeristes, de peinture, de graphistes et d’art plastique de reprendre ma caquette d’architecte. On va découvrir, cette fois-ci, l’architecte à l’état pur.

J’ai déjà pratiqué l’architecture dans le secteur étatique et à titre privé. A travers ce travail colossal, j’ai voulu réconcilier l’art et l’architecture qui, malheureusement, ont déserté notre environnement. L’art est une œuvre d’art à part entière. J’ai aussi réconcilié l’image d’Alger vis-à-vis des algériens et vis-à-vis de l’étranger qui, malheureusement, depuis la décennie noire, il y a une perception négative d’Alger comme de l’Algérie. C’est de dire que nous avons une superbe capitale et qu’il faut absolument prendre conscience pour la préserver comme il se doit.

Quel est le secret votre technique de travail ?

Je dirai que c’est ma technique usuelle. C’est mes outils d’architecte, le rapido encre de chine. Ainsi, je travaille d’abord avec mes outils d’architecte qui est la plume 01 en grande partie sur des calques 30 par 40. Pour la plus grande baie, il a fallu une cinquantaine de calques. Il a fallu réunir en horizontal et en verticale pour faire la baie dans son entité. Dans une grande partie de mes travaux, il y a des œuvres en couleurs. J’ai imprimé sur du forex.

Le noir et blanc prend le dessus sur la couleur ?

Pour moi le noir et blanc est la résultante de la synthèse de toutes les couleurs. Cela a l’avantage d’être d’une pureté où l’on va directement vers la symbolique de ce que représente Alger.

Vous vous intéressez à la typologie de la Casbah d’Alger tout en lançant un SOS pour la sauvegarder ?

J’ai proposé un relevé de maisons à la Casbah, d’un îlot avec tout le processus. Je montre comment elles sont au départ. Jai mis les arguments qui poussent à sa dégradation tels que les eaux de pluie, la surcharge, les transformations et les effondrements enchainés.

Vous semblez intégrer du rêve dans votre environnement? Comme je vous l’ai dit, je travaille à la plume, ensuite par rapport à mon travail de dessin sur calque à la plume, j’essaye de rapporter des éléments photo pour essayer de recomposer la Casbah, pour créer un ensemble où il y a une logique de globalité. C’est un travail de recherche, de composition, de création et d’esthétique.

Il est vrai que j’intègre le rêve dans mon travail parce que j’ai le sentiment que le rêve a déserté notre environnement. Comment redonner peut-être de l’espoir aux gens, aux architectes et aux artistes ?

Je pense que c’est important de ne pas travailler dans un esprit pessimiste. Il faut qu’on puisse terminer par le rêve pour dire que c’est possible encore faut-il que nous nous réveillons pour aller dans l’action. Pour moi, c’est valable autant pour la Casbah, pour la baie d’Alger que pour le patrimoine algérien dan sa globalité. Il faut qu’on arrête de nous lamenter, d’avoir un esprit négatif qui n’apporte rien à un état des lieux. Nous devrions passer à l’action, surtout redonner l’espoir aux jeunes pour dire que tout est possible. Ne pas confondre l’impossible. C’est de défendre l’impensable.

Que représente pour vous une grande œuvre ?

Pour moi une grande œuvre, c’est celle qui un fort symbole d’identité communautaire. Je pense que le citoyen algérien a besoin de cette identification pour qu’il puisse se retrouver lui-même. Pour moi la baie d’Alger devrait parler à tous les algériens tous niveaux confondus et tous âges confondus. 

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