21 Septembre 2013
Reporters
« Farid Benyaa, un artiste tout en contrastes »
Écrit par Walid Bouchakour
Le plasticien algérien Farid Benyaa construit patiemment une œuvre picturale clairement reconnaissable qui rencontre un certain succès en Algérie et à l’étranger. L’artiste considère le contraste entres les contraires comme une source inépuisable d’inspiration. Une approche qui se confirme dans les choix de Benyaa dans sa vie comme dans son œuvre : entre rigueur et folie, entre local et universel, entre introspection et dialogue, l’homme trace son chemin dans le sillon des contraires.
Farid Benyaa nous a accueillis dans l’espace baigné de soleil de sa galerie personnelle, la bien nommée Galerie Benyaa. Les murs sont peuplés de portraits de femmes issus de sa dernière collection : des Algériennes parées de leurs plus beaux atours pour représenter les différentes régions et traditions de l’Algérie. Mais dès que le regard plonge dans l’un de ces portraits, tout un paysage de symboles et de personnages se révèle au spectateur. Accompagné de sa charmante assistante, l’artiste nous révèle quelques subtilités de ses œuvres aux lectures multiples. Il raconte également un pan de son parcours artistique, indissociable de son cheminement personnel.
De la rigueur à la folie
L’œuvre de Benyaa, c’est d’abord un dessin au trait parfaitement maîtrisé. La formation d’architecte n’est pas étrangère à cette maîtrise, même si le dessin a depuis toujours passionné l’artiste : « Je dessine depuis l’âge de sept ans et le dessin ne m’a jamais quitté. Avant de devenir architecte, je dessinais au crayon et au fusain. Plus tard, mon métier d’architecte a été déterminant parce qu’il m’a fait découvrir la plume, le « rapido » encre de Chine qui reste mon outil de prédilection. » L’architecture apporte également un souci constant d’habiter l’espace à travers des tableaux aux formes variées et, souvent, des compositions à partir de plusieurs tableaux. Le plasticien se fait également architecte des formes, qui possèdent chacune un sens particulier, entre la rigueur du carré et la folie des courbes : « Dans mes œuvres, on retrouve très souvent le carré. D’ailleurs, une de mes expositions s’intitulait ‘‘Hommage au carré’’. Le carré fait partie de moi, on le retrouve dans mes œuvres, mais aussi dans l’aménagement de ma galerie, dans le design des meubles, jusque dans le détail de la trame de la table. Le carré, c’est la rigueur dont j’ai besoin pour construire ma vie, mon quotidien et mon chemin. Mais derrière le carré, j’aime intégrer le grain de folie. On retrouve la verticale, qui symbolise l’élévation vers la spiritualité, mais aussi la virilité et le phallus. D’autre part, vous avez la courbe, la parabole, qui signifie la sensualité, la poésie et la féminité. Tous ces symboles semblent être dans une dualité, mais ils construisent une harmonie. »
On touche là à une des particularités d’une approche artistique infiniment renouvelée pour subsumer les contraires. Loin de se complaire dans un art figé, Benyaa opère une remise en question permanente de son art et de sa technique. Une de ses préoccupations est de dépasser son perfectionnisme naturel pour laisser libre court à l’imaginaire. « Ce qui me caractérise au départ, c’est la maîtrise de mon art. Quand on regarde mon travail, on s’aperçoit qu’il se veut précis et maîtrisé : chaque point correspond à un mouvement de la main. De tout temps, j’ai voulu maîtriser autant ma personne que mon environnement. Toutefois, ce perfectionnisme m’a porté préjudice, et j’ai le sentiment que plus je m’en libère, plus je m’engage dans cette démarche de dérapage (contrôlé tout de même), plus je me libère personnellement, tout en libérant mon art. »
La quête esthétique s’accompagne donc chez Benyaa d’un travail sur soi et l’artiste affirme que son œuvre évolue au diapason de sa vie intérieure : « Je suis convaincu qu’il est impossible d’évoluer à l’intérieur de soi et de stagner à l’extérieur. Mon travail majeur est d’abord sur mon être, mon objectif est de me rapprocher de mon noyau profond. Plus je me rapproche de ce noyau profond, plus je me libère. »
De l’introspection au dialogue
En se libérant personnellement, Benyaa aspire par la même à libérer le spectateur. D’abord, en libérant son regard par des œuvres aux lectures multiples. Il s’agit pour lui d’une manière de faire « appel à l’inconscient de l’observateur de façon à ce que le visible puisse transmettre l’invisible. C’est pourquoi j’intègre de plus en plus plusieurs niveaux de lecture dans mes œuvres. Pour moi, l’œuvre idéale (et c’est ce que j’apprécie chez Salvador Dali) est celle qui propose des perceptions infinies qui se déploient dans le temps. Comme je l’ai dit auparavant : une œuvre, ça se pénètre autant de fois qu’on la regarde ».
Au-delà de l’aspect technique de l’imbrication des images, Benyaa privilégie l’émotion pour parler à l’âme du spectateur. C’est d’ailleurs une des raisons de l’omniprésence des portraits de femmes dans ses dernières productions : « J’ai le sentiment qu’à travers la femme, je peux exprimer toutes les émotions qui sont en moi. C’est un vecteur qui me permet de parler de tout ce que vit notre société en joies comme en douleurs… Pour moi, l’homme symbolise tout ce qui est lié à l’extérieur : c’est la force, le bruit, le pouvoir… Alors que la femme, c’est toute cette vie intérieure : l’émotion, le sentiment, les courbes… Si je veux toucher l’âme, qui mieux que la femme me donnerait la possibilité de traduire ce monde intérieur ? » La libération à laquelle aspire Benyaa, c’est aussi la libération de la société algérienne des démons du passé qui la hantent toujours : «
Par ailleurs, cet artiste de l’intériorité, qui privilégie les retraites dans sa Béjaïa natale, s’est improvisé, presque à son corps défendant, animateur de la scène culturelle. En effet, la galerie Benyaa accueille régulièrement des poètes, des écrivains ou des musiciens pour des rencontres artistiques. « Toutes les connexions sont bonnes à prendre. Il n’y a pas un art que je refuserai dans mon espace. C’est un signe d’ouverture, mais c’est aussi une façon de créer une âme, de jouer un rôle, dans un pays qui a besoin de rayonnement. » Mais il ajoute qu’il était loin de s’assigner cette mission au départ. La création de la galerie en 2000 répondait à un besoin autrement plus modeste. Benyaa se souvient : « A l’époque, mon atelier se trouvait à Aïn Naâdja, qui est réputée être la plus grande cité d’Afrique, et les gens avaient de grandes difficultés à me trouver. J’ai donc créé un espace qui me permettait de rencontrer plus facilement ces gens. Mon intention était purement pratique : rendre accessible mon travail.» Par la suite, le hasard des rencontres (ou les « forces cosmiques », comme il aime à le dire) ont amené Benyaa à multiplier les activités culturelles dans sa galerie.
« Il y a quelque chose de paisible dans mon action, explique-t-il. Je laisse les choses venir. Je n’ai ni l’ambition ni la contrainte de faire tant d’événements dans une période. Mon axe principal, c’est d’abord ma propre création, et en parallèle, je laisse la vie se dérouler tranquillement. La décision d’organiser un évènement se fait au détour d’une rencontre. Je ne provoque ni ne force rien. » S’il ouvre son espace à toutes les disciplines artistiques, Benyaa n’y expose toutefois que ses propres œuvres. Il explique ce choix par des raisons purement pratiques : « Quand j’invite un poète, un écrivain ou un musicien, cela me coûte une semaine d’investissement : entre les invitations, les mails, la communication auprès des médias…
Du local à l’universel
De La Casbah à la fantasia, en passant par la musique arabo-andalouse, le travail sur le patrimoine culturel algérien est une constante de l’œuvre de Benyaa.
Benyaa considère ce travail sur le patrimoine culturel comme un passage obligé pour tout artiste. Sa démarche est de partir du local pour toucher à l’universel. « Le défi, c’est le grand écart entre l’empreinte locale et l’ouverture à l’universel. Ce défi est le défi de tous les créateurs, et pas seulement des plasticiens. C’est la meilleure façon de toucher l’humain, quelle que soit la région du monde où il se trouve. » Il résume sa définition de l’universalité en une phrase :
« L’universel, c’est le local sans les murs »