L’oeuvre est révélatrice de l’être profond

Décembre 2008
Algérie News
« L’oeuvre est révélatrice de l’être profond »
Entretien réalisé par Faten HAYED

L’espace est pour l’artiste qui donne naissance à la forme, cet instant de passage délicat, entre l’onde et la matière. Il donne le „ton“ au silence à ce que les mots peuvent difficilement exprimer. Comment l’enfant que vous étiez percevait-il l’art ? 
Enfant, j’ai baigné dans une famille où la notion de l’esthétique faisait partie de notre quotidien. J’ai d’abord été influencé par l’engagement et les exigences de rigueur du travail bien fait de mes parents. Mon père avait bâti une petite maison entièrement entourée de verdure. Il eu la chance d’avoir comme maître d’œuvre le grand architecte Bouachama. L’entretien et l’amour qu’il portait à chacune des pierres de la construction nous ont été inculqués ; Il s’intéressait aussi beaucoup à la décoration intérieure. 
Ma mère, elle, avait un don pour la couture ; elle était très créative, originale et perfectionniste. C’est elle qui réalisait tous nos vêtements, souvent avec très peu de moyens. Elle nous a enseigné a travers son art le travail de recherche et le souci du détail. Enfant, j’étais être introverti, qui adorait dessiner et bricoler. Mes rapports (inconscients) avec l’art sont nés essentiellement à travers mon milieu familial, le cinéma du quartier et les bandes dessinées. 

Vous avez baigné dans un milieu très créatif. Est-ce l’architecture qui vous a poussé vers l’art ou le contraire ? 
L’aventure qui j’ai vécue entre l’art et l’architecture correspond à la notion classique des vases communicants. Le dessin, les travaux manuels, les jeux de constructions et mon goût pour la décoration intérieure m’ont poussé à faire de l’architecture. Mon métier m’a fait découvrir un outil merveilleux, qui est le rapido (stylo encre de chine) qui correspondait à mon tempérament de perfectionniste du détail, fouillé à l’extrême. Parallèlement à mes travaux d’architecture, j’ai continué à dessiner en utilisant le crayon et le fusain et en intégrant l’encre de chine. J’ai mené mes deux passions en parallèle. 
Je constatais que l’architecture est un art pur associé à la technique. L’architecture est la mère des arts. Elle est la première dans la classification des arts établie par Hegel (1770-1831). En 1989, je réalise un rêve j’ouvre mon cabinet d’architecture. Je pratique pendant plusieurs années. Je suis cependant déçu, l’architecture dans notre pays se portait particulièrement mal. Je m’inscrivais en plein dans la décennie noire. L’anarchie du cadre bâti est absolue.  Le dessin est cependant resté un équilibre, un exutoire pour moi. J’essaye de concilier l’art et l’architecture. Mais le dessin prend le pas sur l’architecture en 2000, j’ouvre ma galerie d’art à Alger.

Qu’est-ce qui est enivrant dans vos œuvres, l’esthétique ou le sentiment de se découvrir? 
Ce sont deux concepts différents. Ils sont pour moi aussi importants l’un que l’autre. Une œuvre ne vaut que si elle a le pouvoir d’émouvoir. Par son esthétique ou par le message qu’elle véhicule. Une œuvre quelle qu’elle soit est révélatrice de l’être profond de celui qui la réalise. Rien n’est hasardeux. 
Une œuvre est évolutive avec la vie intérieure de son auteur. J’ai longuement pratiqué l’art figuratif et l’art symbolique, je m’inscris aujourd’hui dans une forme d’abstraction à tendance minimaliste. J’utilise très peu de couleurs et je recherche l’émotion d’avantage dans les formes. Le travail à la plume m’a emprisonné dans un sentier du détail qui est une exigence démesurée révélatrice de mon tempérament toujours insatisfait. Cela m’a quelque peu porté préjudice. L’art abstrait est par contre, pour moi, plu spontané, plus libre. Il fait davantage appel à mon inconscient. Il m’a permis de détendre mes câblages intérieurs…le travail de détendre mes câblage intérieurs…le travail intense, m’a permis un changement dans la continuité. 

A quoi cela correspond-t’il ? 
Ce grand écart correspond à mon cheminement intérieur, qui est cette investigation de mon moi le plus profond. Ce voyage n’est bien sûr pas un point final mais un processus qui va durer toute la vie. 

Vos œuvres portent à chaque fois haut et en couleur la femme, pourquoi ce modèle et pas un autre ? 
Je suis un artiste plasticien à thème ; j’ai eu à développer plusieurs sujets qui font partie de notre patrimoine : le sud algérien, la casbah d’aller, la musique, les paysages, la fantasia. La femme algérienne étant mon thème majeur. Les raisons sont multiples. Elle est le barycentre de la société. Elle est la matrice de la cellule familiale. Elle est l’avenir de l’homme ; Le code de la famille la maintient cependant en position inférieure et l’ampute, ainsi, de sa personnalité et de sa diversité. Elle a pourtant relevé tous les défis ; A toutes les époques, elle a fait preuve de courage face à l’adversité Elle est aujourd’hui déterminée à briser les chaînes de cette culture ancestrale dominée par l’homme. Son combat a besoin du soutien de tous et de toutes.

Aussi le patrimoine est-il une mission virtuelle ou un réel engagement ? 
En Algérie, le patrimoine doit être un réel engagement, pour avoir été longtemps bafoué, délaissé, méprisé. Le patrimoine algérien est d’une richesse et d’une diversité inouïe. Il faudra plusieurs générations d’artistes de tous les bords pour la faire découvrir, la chanter, la représenter.

Est-ce cela que les artistes doivent défendre ? 
Les poètes, les écrivains, les cinéastes, les peintres doivent contribuer à perpétuer et à préserver la mémoire de tout un peuple depuis plusieurs générations. L’artiste est donc responsable de son environnement. 
Ils doivent aussi exprimer sa personnalité. Il doit établir cette synthèse entre sa réalité extérieure et son monde intérieur. Vaste mission pour les artistes ! c’est tout le débat entre la représentation d’un art local „clignotant“ et un art qui se veut universel „fade“. Mais l’art n’est-il pas universel par définition ? Cependant, le rattacher à son humus originel ne lui confère-t-il pas une dimension particulière ? 

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