Janvier 2002
Initiatives
« Le patrimoine, source inépuisable d’inspiration »
Artiste peintre de renom, dont le style peut constituer toute une école, Farid Benyaa puise ses sujets du patrimoine national tout en leur ajoutant une touche de modernité.
Initiative: Dans vos œuvres il y a 3 thèmes majeurs qui reviennent, le sud, la femme et la Casbah. Peut-on en savoir plus ?
Farid Benyaa: effectivement, le sud, la femme et la Casbah sont mes thèmes de prédilection. Tout d’abord, la Casbah que j’ai découverte lorsque je travaillais dans un bureau d’étude chargé de la réhabilitation de ce monument à la fois historique et architectural. J’ai découvert ce site en profondeur. La pierre m’a permis de constater qu’elle pouvait avoir une histoire. Ce qui fait l’architecture de la Casbah d’Alger, c’est d’abord une architecture à l’échelle humaine. C’est une architecture bâtie sans architecte qui avait le privilège d’être en harmonie avec les habitants. Les terrasses, par exemple sont infiniment plus adaptées au mode de vie des algérois que les bacons adaptés à notre mentalité.
Dans mes œuvres, j’ai essayé aussi de recréer l’ambiance de ce site séculaire car il n’a de vie qu’à travers ses habitants et ses activités typiques. C’est pourquoi il y a toujours dans mes tableaux ces activités typiques, cette architecture et surtout ces personnages tels la silhouette de cette femme élégamment drapée dans son Haïk en soie, cet artisan qui travaille à l’extérieur de son échappe, ce porteur d’eau et ce vendeur de thé.
Il y a aussi cette rue, exhalant des parfums typiques et suaves d’ambre et d’épices, où les enfants bruyants mettent de la vie. Il y a enfin ces ombres et lumières qui transparaissent à travers l’encorbellement de ses maisons et qui font la magie de cette médina.
Initiative: Le sud est également décrit avec féerie….
Farid Benyaa: Effectivement, le grand sud est une région fabuleuse, un site unique au monde. Pour ce thème, j’ai essayé l’image exotique que beaucoup de personnes ont de ce lieu grandiose, notamment les étrangers, pour toucher à la philosophie de ces habitants, leur mentalité vis-à-vis du temps et de l’espace, leur sens élevé de l’honneur, leur mode de vie très riche mais très simple, voire austère.
J’ai également essayé, à travers ma peinture, de mettre en exergue leurs coutumes et traditions si riches et millénaires. Dans ce cadre, il faut signaler le sens de l’esthétique extrême développé, de leur façon de s’habiller.
Initiative: Vous avez aussi peint des paysages grandioses et féeriques,
Farid Benyaa: Les paysages grandioses se sont imposés d’eux-mêmes dans mes œuvres. Il y a aussi toute une symbolique derrière chaque paysage, toute une philosophie. Les Touaregs attribuent à ces majestueuses montagnes des histoires d’amour, des légendes. C’est la projection de leur vécu.
Initiative: La femme, parée de ses atours, constitue aussi l’un des thèmes majeurs de vos expositions.
Farid Benyaa: La femme est la pierre angulaire de la société. C’est elle qui est la gardienne des traditions, qui éduque les enfants et qui participe à la vie économique et sociale. Mon souci est de la réhabiliter, de lui redonner ce respect qui lui revient. A travers mes œuvres, j’ai peint la femme au quotidien avec ses joies, ses peines et son lot de problèmes.
Par ailleurs, je décris beaucoup la femme Targui dont j’ai découvert le statut à travers mes lectures. Dans ce système matriarcal, la Targui est l’épicentre de sa communauté, fasciné par son statut j’ai essayé de faire une « plongée » dans cette communauté où la femme s’impose à travers ses fonctions, ô combien essentielles. Je tiens aussi à parler de sa culture, notamment musicale et poétique. La Targui qui est une grande poétesse, joue de l’Imzad (instrument traditionnel monocorde typique du sud) tout en chantant la femme, la tradition et le patrimoine.
Initiative: La femme est aussi prétexte pour vous, pour décrire la richesse des bijoux, des costumes, …
Farid Benyaa: Toutes les femmes sont parées effectivement de bijoux et portent majestueusement les costumes traditionnels de chaque région d’Algérie. Dans ce sens, j’ai fait un long travail de recherche documentaire afin de restituer leur authenticité aux costumes et aux bijoux car ils véhiculent des symboles qu’il faut décrypter.
Il m’arrive aussi de départir la femme de son accoutrement pour renforcer la symbolique et ne pas enfermer le personnage dans un contexte limité.
Initiative: Farid Benyaa a débuté dans le figuratif, est passé par le symbolique puis a opté quelquefois pour l’abstrait. Peut-on savoir plus?
Farid Benyaa: Farid est effectivement passé du style figuratif, où il était spectateur de ce qu’il voyait, à un style plus suggestif. Il est passé à une préoccupation qui consiste non seulement à traduire le patrimoine à travers des costumes et l’architecture mais surtout de s’engager vers une symbolique, parler de ce qui fait notre société, notre quotidien. C’est ainsi que j’ai abordé la polygamie, l’enfance, l’immigration, la femme battue ….
Initiative: Vous avez également introduit un nouveau support dans vos œuvres, un support plus moderne …
Farid Benyaa: J’ai introduit un nouveau support, genre design, afin de donner plus de contemporanéité à mes œuvres, pourquoi pas plus d’universalité.
Initiative: Revenons à votre galerie. Quels sont ses objectifs ?
Farid Benyaa: La galerie assure d’abord l’accrochage de mes œuvres. La galerie qui essaye d’être présente aussi bien dans tous les événements importants telle la journée mondiale de la femme, de l’enfant, s’adresse aussi aux collectionneurs et aux artistes.
Elle a également un côté pédagogique car elle est aussi ouverte aux étudiants et aux enfants car nous voulons aussi que notre galerie contribue à leur éducation esthétique. Notre objectif est de déclencher chez eux un déclic qui fera d’eux les artistes de demain.
Initiative: Farid Benyaa a aussi participé à plusieurs actions caritatives notamment au profit des enfants hospitalisés. Un mot sur ces actions …
Farid Benyaa: L’artiste est un élément majeur, sinon le moteur de la société. J’ai organisé une exposition vente d’œuvres réalisées par les enfants malades et de quelques unes de mes œuvres dont les recettes ont été versés à l’école du centre hospitalo-universitaire de Bab El Oued.
J’ai aussi offert des œuvres lors d’autres actions caritatives et j’estime que c’est normal, c’est un simple devoir.
L’avantage d’une œuvre est qu’elle est produite par la main et l’esprit et c’est la meilleure preuve de générosité que l’on peut manifester à autrui. Le geste de l’artiste, je pense, est une symbolique infiniment grande.
Initiative: Farid a des projets, des thèmes en chantier. Quels sont ces thèmes?
Farid Benyaa: J’ai effectivement des thèmes en chantier? D’abord une collection de 32 œuvres sur les paysages d’Algérie et cela pour montrer la richesse et la diversité du patrimoine naturel algérien. La musique a été aussi retenue comme thème. J’essayerais de parler des grandes écoles musicales. Le dernier sujet que je trouverais sera en rapport avec la Fantasia, partie aussi importantes de notre patrimoine culturel.
Djamel Belaid