Architecte féru de dessin

Avril/Mai 2010
Revue Tassili [Air Algérie]
« Farid Benyaa un architecte féru de dessin »

Par Ali EL HADJ TAHAR

Le nom de Farid Benyaa, architecte émérite, n’est pas étranger à la maison Air Algérie. Il est le concepteur du design du salon pour la première classe des avions de l’aéroport international d’Alger. Ce n’est pas le moindre de ses talents, il anime avec bonheur sa galerie d’art en en faisant un espace de rencontres et de communication.

Farid Benyaa est né en 1953 à Sidi Aïch, près de Béjaïa. Architecte de formation, il a travaillé pendant une dizaine d’années au Berep, bureau d’études spécialisé dans la restauration et la préservation des sites anciens et des monuments historiques. Il a aussi fait partie de l’équipe de l’Unesco à la Casbah d’Alger. C’est de là que vient son attachement au patrimoine et aux valeurs anciennes.

En 1990, il ouvre son propre cabinet d’architecture et a réalisé de nombreux projets aussi bien publics que privés. Mais du fait de l’insécurité, cette décennie a été très mauvaise pour le bâtiment et aussi pour l’art ; mais faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Benyaa décide de s’investir dans ce domaine. Il expose des études d’architecte agrémentées de quelques croquis coloriés et représentant des paysages et des scènes de vie courante. Allant toujours à contre-courant des habitudes, il ouvre sa galerie en 2000, un moment plutôt propice à des commerces plus rentables et moins cérébraux : pizzeria, supérette, import-import, fast-food…

Non seulement il opte pour un domaine certes proche de l’architecture, mais hypothétique sur le plan rentabilité, mais il met aussi ses économies en jeu sans même se poser la question si l’on arrive à vivre ou à survivre avec une galerie d’art ou tout simplement avec de l’art. La question se pose toujours : l’art fait-il vivre son homme en Algérie ? La réponse est négative pour 99% de nos artistes. Quelques-uns seulement arrivent à en tirer de modiques bénéfices et une toute petite minorité – disons quatre ou cinq artistes seulement – en fait une profession à part entière et en tire des revenus notables. Benyaa sait que nos peintres émigrent pour vendre leurs œuvres. La raison, dit-il, est qu’en Algérie la classe moyenne et les riches n’ont pas de penchant pour ce domaine.

La culture, ajoute-il, va de pair avec une éducation du goût qui commence dès le jeune âge, par l’initiation à la musique, à la peinture, au théâtre, à la littérature et la poésie. Benyaa s’aventure dans un domaine où il sait qu’il va plus donner à la société qu’en gagner ou recevoir. Investir dans un domaine culturel est un risque financier énorme, mais c’est faire preuve d’une responsabilité morale : « La première qualité pour devenir galeriste, c’est la passion de l’art. Le décret du ministère de la Culture, qui exige que tout galeriste doit être issu de l’Ecole des beaux-arts, est déraisonnable.

» La galerie Benyaa se veut une passerelle entre les arts plastiques et les autres domaines et expressions culturels : « J’ai voulu que mon espace soit un lieu de rencontres et de communication. Ceci a permis à de nombreux artistes de se faire connaître, de rencontrer un nouveau public de plus en plus large et diversifié. Des rencontres débats-idées s’y déroulent également. Un public restreint (10 à 20 personnes) se rencontre pour discuter de thèmes philosophiques tels le bonheur, l’amitié, la liberté, le rêve, la tolérance… » Dans ce lieu d’amitié et d’échange, Benyaa a présenté de nombreuses manifestations dont le concert de Réda Khaznadji, des lectures et des conférences par des écrivains dont M’Hammed B. Larbi, Djamel Mati, Maïssa Bey…

J’ai voulu que mon espace soit un lieu de rencontres et de communication. Ceci a permis à de nombreux artistes de se faire connaître, de rencontrer un nouveau public de plus en plus large et diversifié…

Le Printemps des poètes a été organisé dans cette galerie et l’association culturelle Cadmos y a organisé la troisième édition de « A Front-Tiers de poésie ». Outre l’organisation d’événements culturels, la galerie de Benyaa sert d’abord, et avant tout, comme lieu d’exposition des dessins et travaux d’architecture réalisés par le galeriste. En tant qu’architecte, il pose un regard sur le patrimoine et les paysages de son pays et les restitue dans des dessins relevés de couleur qui témoignent de son intérêt pour la conservation des traces et objets qu’il apprécie et affectionne.

Les dessins de Benyaa abordent de nombreux thèmes dont des personnages, féminins notamment, des sites, des paysages, des instruments de musique, des objets d’artisanat… Toutes les régions du pays figurent dans ce répertoire où la femme joue un rôle central car elle reflète la culture t les traditions qu’elle porte et dont elle est la gardienne. Jalousement, les femmes transmettent ces traditions et perpétuent les artisanats qui leur sont liés. Parées de bijoux, tatouées, habillées de leurs plus belles tenues, elles restituent l’âme du pays, ses espoirs et ses peines. Benyaa considère que le passé est une richesse qui ne détourne pas de la modernité si l’on sait le vivre hors de toute interprétation rétrograde. Images d’Epinal ? Certes, parfois. Décoratives plus qu’expressives, ces images ont cependant une valeur documentaire certaine. Ces travaux nous rappellent que l’architecture commence par le dessin.

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